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CINECURE
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Nabil Ben Yadir
Animals
Sortie le 9 mars 2022
Article mis en ligne le 21 octobre 2021

par Charles De Clercq

Synopsis : Brahim est un jeune homme secrètement gay. Il est aussi la joie de vivre de sa mère, qui espère qu’un jour il trouvera l’amour de sa vie, il deviendra père de famille et les rendra tous fiers. Lors de la fête d’anniversaire de la mère de Brahim, les tensions autour de sa sexualité non acceptée deviennent insupportables. Brahim fuit la maison familiale qui lui est oppressante. Cette nuit-là, une terrible rencontre va tout changer.

Avec : Soufiane Chilah, Gianni Guettaf, Serkan Sancak, Lionel Maisin, Camille Freychet, Vincent Overath

NB :
1. Le film a obtenu une mention spéciale du jury d’« Explore Award 2021 » au Festival de Gand où il a été projeté en première mondiale.
2. Il a obtenu le prix du public de la fiction la plus dérangeante lors du Festival Ramdam de Tournai.

L’information avait été publiée dans la presse le 19 avril 2019 sous le titre « Les Dardenne coproduisent le film Animals sur le crime homophobe d’Ihsane Jarfi : une partie du tournage s’est déroulée à Seraing et à Saint-Nicolas ». Co-produit par les Dardenne, il était tourné par Nabil Ben Yadir, à qui l’on doit Les Barons, La Marche, Dode Hoeke. Nous avions eu le plaisir de recevoir le réalisateur dans nos studios à l’occasion de la sortie de ses deux derniers films.

Beaucoup de Belges ont entendu parler du meurtre d’Ihsane Jarfi. Un meurtre crapuleux, homophobe (le premier procès en Belgique avec la circonstance aggravante d’homophobie !), une nuit d’agonie pour le jeune trentenaire qui a été enlevé, séquestré, torturé, battu à mort (celle-ci survenant plusieurs heures après qu’il fut abandonné dans un champ de la région liégeoise). Avec Animals, Nabil Ben Yadir veut rendre un hommage poignant à ce jeune homme (dont les médias se sont fait l’écho des nombreux témoignages de son père qui veut alerter, sensibiliser pour que l’on n’oublie pas, pour que l’on ne recommence pas de telles horreurs). Celui-ci « d’origine maghrébine, a écrit un livre en 2013, Ihsane Jarfi, le couloir du deuil, dans lequel il condamne l’intolérance, qu’elle touche les homosexuels, les musulmans ou n’importe quelle autre minorité. » [1]. En mai 2019, il y a plus de deux ans, Cinevox annonçait le clap de fin pour le film Animals.

Animals a été projeté en avant-première mondiale le 12 octobre 2021, lors du Film Fest Ghent 2021 et sortira sur les écrans en Belgique le 9 mars 2022. Le film prendra le spectateur aux tripes et ne le lâchera pas. Sans voyeurisme il rend compte de la violence, une violence extrême, brutale, malsaine, dont Ihsane fut l’objet. Mais stop, précision : ce n’est pas d’Ihsane dont on parle dans le film mais de Brahim ! Il ne s’agit donc pas d’un biopic (et le mot sonne étrangement s’agissant d’une mise à mort !) mais d’un hommage rendu à Ihsane. Cela sera indiqué dans le générique de fin d’un film qui n’a pas de générique de début ! Il y a donc un hiatus entre la terrifiante histoire de Brahim dans le film et celle, plus terrifiante encore d’Ihsane Jarfi. Mais si l’histoire narrée est différente (on pourra lire le livre que le père d’Ihsane Jarfi a consacré à son fils), c’est cependant l’homophobie fondamentale qui est au cœur du film, celle qui frappe à mort Brahim, celle qui a tué Ihsane, celle qui tue encore et encore tant d’homosexuel·le·s, y compris dans nos nations dites civilisées !

Dès l’ouverture, l’on se rend compte que l’on sera confiné dans un cadre dont il sera très difficile de sortir. Nous sommes dans un ratio d’image quasiment carré. Nous sommes loin de Mommy de Xavier Dolan, même si à un moment du film, Nabil Ben Yadir change lui aussi de ratio d’image ! Le spectateur est enfermé dans l’image d’un film en trois parties. La première rend compte d’une fête familiale : c’est l’anniversaire de sa mère et l’on se rend compte que quelque chose ne va pas. Il y a de la tension dans l’air. Ténue, sourde. Le spectateur se doutera assez vite que Brahim porte un secret. Lui, qui est filmé dans de très beaux plans-séquences avec une caméra qui le suit comme dans le film Le Fils de Saul ou Un Monde, s’inquiète de ne pas avoir de nouvelles d’un ami, Thomas qu’il a invité à la fête. Il ne vient pas, ne répond pas. Les interactions familiales permettront au spectateur de prendre peu à peu conscience de ce qui est en jeu et qui vient heurter les habitudes et les attentes d’une famille pour laquelle la seule option possible pour un homme est de se marier et d’avoir des enfants. Brahim s’en ira en quête de son ami, dans une boite gay de la région liégeoise. Sans succès. Au sortir de celle-ci, le film va basculer dans l’horreur.

La deuxième partie nous fait découvrir comment quatre jeunes vont embarquer Brahim. Le chambrer, le battre, le séquestrer, le torturer, le mettre à mort. Nous n’en dirons pas plus. Cette partie est la plus éprouvante. Certains fermeront les yeux, se boucheront les oreilles tant ce qui est montré est intenable, inhumain et pourtant, l’on se doute qu’il y a encore une pudeur dans la façon dont le réalisateur montre les choses, sans voyeurisme excessif. L’on comprendra aisément que certains ne voudront pas voir ce film dont il est pourtant très important de rendre compte. Et pour cette agression homophobe, une bonne partie sera filmée à l’aide de smartphones comme le firent d’ailleurs les assassins et meurtrier de Ihsane. L’image est au format vertical et aide à entrer plus encore dans l’horreur de la situation et à découvrir le piège dans lequel Brahim (Ihsane) est tombé et dont il ne sortira pas vivant. Si l’image est au format vertical, c’est parce qu’elle est filmée avec des smartphones et il semble bien que le réalisateur ait demandé aux jeunes acteurs de filmer ces scènes atroces ; et l’on suppose que cela a exigé énormément de préparation, non seulement technique, mais essentiellement psychologique pour se mettre ainsi dans le peau de bourreaux !

La troisième partie repasse au format carré de l’image et nous fait suivre un des quatre bourreaux de Brahim. L’on pourra se demander pourquoi celui-ci parmi les quatre et il sera intéressant de poser la question au réalisateur. Mais, quoi qu’il en soit, ce denier tableau du tryptique permet de se rendre compte des racines de l’homophobie de ce meurtrier.

Il faut aussi saluer l’interprétation exceptionnelle de Soufiane Chilah (Black, Dode Hoek) qui n’a pas dû être des plus faciles, du fait de devoir interpréter un personnage qui pose culturellement problème dans sa culture et dans un rôle qui impose la nudité durant les scènes les plus éprouvantes. Les acteurs qui jouent ses tortionnaires n’ont jamais tourné, mais l’on se rend compte que ces rôles sont humainement difficiles à endosser.

Deux long plans, en caméra fixe, sont à mettre en exergue dans le film : Brahim enfermé de longues minutes dans le coffre de la voiture de ses futurs assassins et l’un d’eux, devant un lavabo, tentant de se laver du sang du juste qu’il vient de mettre à mort !

Si Animals est un film à voir absolument, il est néanmoins à déconseiller aux âmes sensibles. Le film suscite le malaise, mais, à défaut de le voir, il faut en parler pour faire écho à l’homophobie encore bien présente dans nos sociétés (ce n’est pas que « ailleurs » et dans certains pays !) et peut permettre d’en débattre ensuite et découvrir que, dans certains cas, elle s’origine dans une homosexualité refoulée. L’on ne sort pas indemne de ce film qui nous oblige à découvrir l’horreur dont certains humains sont capables, chose, comme le disait un confrère en sortie de la vision pour les journalistes, que ne font pas les animaux. Celui-ci nous disait que le titre n’était donc pas approprié. En réalité, celui-ci fait référence aux mots d’un des accusés qui avait dit au tribunal : « On s’est comportés comme des animals » !



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